« Et bien sûr, le soir même j'ai entamé ce livre maudit. Je me suis senti tout à la fois insulté et révélé à moi-même. Une nuit entière à lire comme si je lisais le livre de Dieu lui-même, le coeur battant, prêt à suffoquer. Ce fut une véritable commotion. Il y avait tout sauf l'essentiel : le nom de Moussa ! Nulle part. J'ai compté et recompté, le mot « arabe » venait vingt-cinq fois et aucun prénom, d'aucun entre nous. »
Un homme, tel un spectre, soliloque dans un bar. Il est le frère de l'Arabe tué par Meursault dans L'Étranger, le fameux roman d'Albert Camus. Il entend relater sa propre version des faits, raconter l'envers du décor, rendre son nom à son frère et donner chair à cette figure niée de la littérature: l'« Arabe ».
Iconoclaste, le narrateur est peu sympathique, beau parleur et vaguement affabulateur. Il s'empêtre dans son récit, délire, ressasse rageusement ses souvenirs, maudit sa mère, peste contre l'Algérie - il n'épargne personne. Mais, en vérité, sa seule obsession est que l'Arabe soit reconnu, enfin.
Kamel Daoud entraîne ici le lecteur dans une mise en abîme virtuose. Il brouille les pistes, crée des effets de miroir, convoque prophètes et récits des origines, confond délibérément Meursault et Camus. Suprême audace : par endroits, il détourne subtilement des passages de L'Étranger, comme si la falsification du texte originel était la réparation ultime.
Né en 1970 à Mostaganem, Kamel Daoud est journaliste au Quotidien d'Oran où il tient la chronique «Raïna raïkoum». Il est l'auteur de plusieurs ouvrages de fiction dont Ô Pharaon (récit, dar el Gharb, 2005).
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