«Mon plat à couscous remue, remue...»
Le Soir d'AlgériePublié dans Le Soir d'Algérie le 07 - 05 - 2016
«Quatre branches sur un arbre. L'une est douce, l'autre aigre. L'une est verte, l'autre sèche.» Quelle est la réponse à cette énigme d'Algérie, l'une des plus faciles à déchiffrer ?
Le lecteur, particulièrement rompu aux jeux de société, n'hésite pas et donne la définition : les saisons. Autre énigme qui stimule la curiosité : «J'ai pincé le chacal l'hyène est tombée et le lion a rugi.» De quoi mesurer sérieusement son potentiel imaginatif. Hocine Hachemi en donne la réponse dans son ouvrage publié aux éditions Mimouni. Il s'agit du fusil (ou du coup de fusil). Il fallait découvrir le sens second des figures et des images contenues dans cette devinette.
Explication de l'auteur : «Le chacal, c'est la gâchette. L'hyène, c'est le chien (znâd). Le lion, la poudre qui parle.» C'est le genre de notes qui suit, à chaque fois, le mot de chacune des énigmes et devinettes populaires d'Algérie, recueillies et numérotées de 1 à 620. Hocine Hachemi les a transcrites en arabe dialectal (caractères latins, puis lettres arabes) et traduites en français. Un bref éclaircissement (la note de l'auteur) figure au bas de chaque énigme.
Le recueil est donc un outil très pratique, d'un usage facile, en plus d'inviter le lecteur à voyager dans la culture orale. Une définition peut faire l'objet de plusieurs énigmes ou variantes. De même que l'auteur a procédé à un classement par familles, thèmes et éléments de base, sur quinze chapitres : végétaux, numéraux, animaux, l'homme, vêtements et parures, aliments, famille, société, religion, arts et métiers, etc. Exemple, l'énigme 494. Il est écrit, en caractères latins : «El-lef'âa tahfer oû-el-h'noucha itesaoût'ou.. Oû-el-h'aygoûn iceffer oû bouzenzen îgreç.» Réponse : moh râth. Suit le même texte court, cette fois en caractères arabes. La traduction en français donne ceci : «La vipère creuse, les serpents reçoivent des coups de fouet. La perdrix siffle et la guêpe pique.» La définition (charrue) précède la note explicative : «La vipère : le soc. Les serpents : les b&oeligufs. La perdrix : le laboureur. La guêpe : l'aiguillon.» Amusant et très instructif.
Ces expressions au caractère énigmatique sont remarquables par leur brièveté, et rendues attractives par la rime, le rythme et la musicalité. Dans sa courte introduction au recueil, Hocine Hachemi n'omet d'ailleurs pas de souligner combien ces énigmes algériennes sont d'abord une forme de poésie. Il écrit : «En arabe on les appelle &lsquo'mhajyât el fekk'', ou &lsquo'contes à résoudre''. Ces contes revêtent une forme recherchée, qui en fait souvent de véritables pièces de poésie». Le jeu des devinettes, loin d'être un simple passe-temps, est donc une composante d'une culture faite de convivialité et soucieuse de beauté stylistique, de pertinence dans l'allusion et de respect des convenances.
«Les énigmes, familièrement appelées devinettes en français, constituent un jeu de société commun à tous les peuples et à toutes les époques de l'histoire.
Il s'agit dans ce jeu d'intelligence de donner une définition plus ou moins symbolique, plus ou moins complexe, de quelque chose que l'auditeur devra découvrir grâce à sa perspicacité et à son esprit de déduction, mais également grâce aux questions qu'il pourra poser à son vis-à-vis pour cerner le contour du sujet et trouver la réponse. Plusieurs personnes peuvent participer à la recherche de la solution de l'énigme», explique l'auteur.
Le mérite de Hocine Hachemi, c'est justement de faire honneur à ce genre littéraire injustement marginalisé, «trop négligé par tous». Et dire que «ce recueil ne contient qu'une quantité infinitésimale de ce riche patrimoine (...) culturel immatériel» (introduction).
Tous ces textes courts que l'auteur a eu plaisir à récolter, au fil des années, dans diverses régions d'Algérie, en appellent à l'apparition et à la diffusion d'autres recueils du genre. L'Algérie possède un très riche patrimoine en la matière, à charge pour les auteurs et autres chercheurs de lui consacrer des travaux conséquents. En attendant ces milliers d'énigmes à découvrir pour se remuer les méninges tout en apprenant et en se détendant, le lecteur est invité à savourer le recueil de Hocine Hachemi. De préférence avec des amis, autour d'une bonne tasse de café. Au fait, «son nom commence par un qâf et ses serviteurs ressemblent aux femmes. Parfois, il est dehors, et parfois dans la maison.» Mais qui cela peut-il bien être ?
Hocine Tamou
Hocine Hachemi, Enigmes populaires d'Algérie, éditions Mimouni, Alger 2016, 290 pages.
Votre panier : | Fermer |